D’un corps à l’autre, se tenir debout présente, du 8 au 20 juin 2021 au centre d’art Ygrec-ENSAPC et le 19 et 20 juin 2021 au square Stalingrad situés à Aubervilliers, sept artistes émergeant.es engagé.es dans des actions performatives, et récemment diplomé.es de l’École nationale supérieure de Paris Cergy : Morgane Baffier, Bocar Freeman, Mounir Gouri, Tibo Grougi, Stéphane Gaultier, Kathryn Marshall et Vincent ce soir.
Créer à partir de son corps est apparu à Paris Cergy dans les années 2000, après l’obtention d’une transversalité des enseignements, l’arrivée de cours de danse, d’écritures, de créations sonores, dans une décennie touchée par le 11 septembre, une crise économique mondiale et l’espoir née de l’arrivée de technologies nomades desserrant une forme esthétique d’entre soi.
Les sept artistes présenté.es aujourd’hui continuent ce mouvement dont la volonté esthétique et politique était d’interroger la place des corps, leurs diversités, les mots qui les portent, leurs conditions de vie et de monstrations, leurs économies.
Ajoutons à cela que nous sommes à un moment historique d’une longue pandémie dont nous ne connaissons pas vraiment l’issue, ni les conséquences, nous obligeant à déplacer nos horizons d’attentes et à nous interroger sur d’autres possibles. Comment s’adresser à l’autre, alors que nous vivons depuis tant de mois dans une pénurie d’altérité ? Comment sortir de cet événement qui s’est immiscé entre nos corps. Sombrer dans la mélancolie ? S’amuser d’un monde qui ne sait comment cacher ses morts ? Et pourquoi rester debout quand on sait que pour certains la vie tient toujours à un fil, à l’accès au soin, à l’accès au travail, aux vaccins, à l’hospitalité ? Difficile de faire comme si de rien n’était. Alors ils et elles continuent à nous interroger de multiples manières, faisant lien, ou rituel urbain, ou transe, ou chansons, ou accueil de l’autre, ou ré-invention de soi.
Avec la crise sanitaire, le centre d’art Ygrec ne peut accueillir que quinze visiteurs à la fois. Alors pendant dix jours les artistes D’un corps à l’autre, se tenir debout y présenteront leurs œuvres et développeront leurs expérimentations, puis performeront pendant deux jours dans le square Stalingrad, lieu fréquenté pour les habitants d’Aubervilliers. Là on bavarde, on respire l’odeur des arbres, on surveille les enfants, on danse, on fait des affaires, des rencontres, on parle de multiples langues.
Il est aussi l’arrière du Théâtre de La Commune, lieu d’expérimentation qui a toujours fait d’Aubervilliers l’un des lieux d’avant-garde de l’histoire du théâtre.
Sylvie Blocher
Commissaires :
Sylvie Blocher (artiste), Luna Mahoux, Ihsane Guyot, Nathan Komé Komé, Wei Pan, Hugo Bausch Belbachir (étudiants).
Nous remercions spécialement Le bureau des heures invisibles pour leur générosité et leur soutien à cette exposition, Marie-José Malis et Richard Ageorges au Théâtre de la Commune d’Aubervilliers pour leur attention et l’aide technique qu’ils nous ont apportées, ainsi que la ville d’Aubervilliers.
Artistes :
Morgane Baffier élabore des conférences-performées impliquant dessin et écriture dans un univers qui se veut autant poétique que politique. Comment avancer ? (2020), Comment vivre dans un monde harmonieux ? (2021) sont autant de questions auxquelles Morgane Baffier tente de répondre. Jouant tour à tour l’experte ou l’amatrice, elle désamorce ou amplifie nos doutes. Usant de l’autorité d’une conférencière, elle nous pousse à la croire. Ce jeu de pouvoir lui permet de jongler avec toutes sortes de théories et de grands sujets, l’amour, l’art, la politique, l’argent… Dessinant en public et maniant l’humour, elle schématise jusqu’à l’absurde des données scientifiques, journalistiques, philosophiques, créant de véritables rébus existentiels. Elle précise : L’humour est un outil politique pour rendre l’art plus accessible.
Mounir Gouri né à Annaba, en Algérie, fait partie de cette jeune génération d’artistes visuels préoccupés par l’actualité et les réalités socio-politiques et économiques qui bouleversent la société algérienne. Intéressé par les nouveaux médias, il utilise à la fois la performance, la vidéo, la photographie, le dessin et la sculpture. Voici ce qu’il raconte : Pendant le confinement j’ai senti le besoin absolu d’acheter une plante. Mais chez moi elle a commencé à mourir. Je ne m’étais encore jamais occupé d’une plante, mais j’en avais déjà tué quelques-unes. Mais là je me suis dit : mais comment peux-tu tuer maintenant ?… J’ai dû apprendre à m’occuper d’elle. Le soir quand je vais fumer une cigarette sur le balcon, en la regardant, je vois plein de choses. On a entamé un dialogue silencieux. Elle me fait réfléchir à la vie, à la mort, mais aussi au fait que je peux tuer. J’utilise habituellement dans mes performances des matériaux de construction et du charbon de bois. Là je me sens obligée de lui donner une place. Je ne sais pas encore ce qui va se passer, mais elle bouleverse mon travail.
Tibo Grougi est un artiste performeur, qui a suivi de longues années de danse classique, arrêtées le jour où il comprit que sa vie de danseur serait toujours accolée à une forme de maltraitance de son corps. Ses premières années de plasticien à Paris Cergy débutent en questionnant les costumes et les uniformes du quotidien. Revêtant tous les jours un nouvel habit, il perturba constamment les notions de genre et d’identité, doublés d’une très une forte présence. Dans l’une de ses vidéos il demande à son père de lui recoudre, à même le corps, sa longue robe de mariée. Depuis il invente des expériences qui sont activées ou non par le public. Chacun garde sa liberté. Mais si la personne participe il y a toujours face à elle un corps qui répond, et qui procède alors d’une grande attention, empreinte de beauté et de dénuement. Tibo Grougi aime aussi rassembler d’autres artistes dans sa maison, qu’il transforme régulièrement en espace performatif. Noûs (2020). Qui est toi-même s’invente (2021). Il performe, peint et dessine entre la France, le Maroc, l’Inde et la Suède, et procède d’une réflexion sur une manière de vivre par l’art.
Stéphane Gaultier est artiste performeur et musicien. Sa pratique est liée à la transe — transe qui ne s’inscrit dans aucune volonté religieuse, ni de recherche du divin — et à la catharsis. Il improvise à la batterie acoustique, aux micros piezos, à un ordinateur couplé d’une pédale midi, à des samples de sa propre musique. Il utilise principalement son corps et ses machines comme médium d’expérimentation pour incarner des narrations polyphoniques entre l’analogique et le numérique. Il écrit : « Comment incarner la musique électronique ? Comment créer une résonance physique avec le public et l’engager dans la transe ? ». Stéphane Gaultier emprunte à Édouard Glissant le terme d’Écho-monde pour définir sa relation à la musique, à son instrument, à la société et au dialogue qui s’installe entre celle-ci, son corps et ceux qui l’écoutent.
Kathryn Marshall est une artiste américaine qui traque les enjeux du langage et de la perception à travers ses performances. Ses pièces remettent en question des frontières entre les arts, l’éducation, la danse, le théâtre, les sciences et la spiritualité. Après plusieurs années de performances solos (BETTER THAN BRUNCH [2016], JUST WHEN YOU THINK YOU’VE SEEN IT ALL [2018], HOW CAN YOU KNOW GOD IF YOU DON’T KNOW YOUR OWN TOES? PART II [2019]), elle chorégraphie actuellement des spectacles-performés, utilisant ses textes, des chants, des archives, des images vidéos, des décors-objets, dont le dernier « MY BODY IS A TEMPLE » avec Martijn Van Elferen and Elisabeth Banom sera visible à Ygrec. Préoccupée depuis de longues années par les dérivés climatiques et les expérimentations industrielles sur la nourriture et les médicaments, elle envisage, dans la lignée de Anna Halprin, sa pratique comme un art qui guérit, survolant d’un regard acéré et ironique nos espaces quotidiens, déconstruisant un ensemble de formes d’oppressions du corps.
Bocar Freeman est artiste, performeur-griot, originaire de la région de Tambacounda au Sénégal. Passeur, tisserand de lien social, il s’aventure à créer une toile solide reliant tradition et contemporanéité. Parlant sept langues, dont le wolof, l’art du récit qu’il pratique depuis son enfance nourrit sa pratique artistique, ses performances, ses musiques et son cinéma. En constante expérimentation, il utilise toutes ces transversalités pour repenser et réécrire sa culture, notre culture, créoliser les langues et les philosophies dont elles sont porteuses. Il œuvre en parallèle à la création d’un Musée Griot dans sa ville natale, afin d’y interroger la transmission des cultures orales et leur apprentissage poétique et politique, mais aussi ce qui a leur a été enlevé par la période coloniale. Bocar Freeman précise : « J’aime redonner de la force au gens, hors de toute agression, car c’est dans le présent et l’empathie que je travaille. L’oralité est le lien entre tous mes travaux. Je parcours les espaces et le temps comme un passeur. L’éthique est ma force ».
Vincent Ce soir : “Récent habitant du nouveau quartier de « La Chapelle internationale » , siège d’une récente gentrification, c’est à travers la mise en place d’ateliers de dessins avec des enfants y étant scolarisés que ces dessins présentés ici ont pu se faire. Grâce à cette collaboration avec eux, je me permets d’être à la fois d’être un acteur de ce quartier en mouvement et le critique de celui-ci, épicentre névralgique d’un monticule de problèmes.”
ÉVÉNEMENT
19 et 20 juin 2021 elles.ils performent au square Stalingrad à Aubervilliers, (arrière du théatre de Commune. Metro Quatre chemins ou arrêt bus Karman
Programme :
15 h 00 Bocar Freeman, poésie griotte. « Lo gëm mu nekk »
15 h 30 Mounir Gouri, performance : « Quand je me rends compte de… »
16 h 00 Morgane Baffier, conférence performée
16 h 30 Vincent Ce Soir et Lèlè Winger chantent
17 h 00 Tibo Grougi, performe : « Essayer de tenir debout »
17 h 30 Stéphane Gaultier. Live transe : « Oh my gosh I hear god’s voice !» + Myel