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ARAKS SAHAKYAN

TRANSITS

Du 16 octobre au 4 décembre 2021 dans la vitrine de Ygrec-ENSAPC

Vernissage le 16 octobre de 16h00 à 21h00

Du mercredi au samedi, 13h-19h

Ygrec
29 rue Henri Barbusse
93300 Aubervilliers
tel : +33 (0) 6 28 79 04 82



Araks Sahakyan, Las ventanas de mi casa / Les fenêtres de ma maison, assemblage de 81 feuilles A4, feutres sur papier, 181 x 251 cm, 2021 © Objets Pointus.
Araks Sahakyan, Las ventanas de mi casa / Les fenêtres de ma maison, assemblage de 81 feuilles A4, feutres sur papier, 181 x 251 cm, 2021 © Objets Pointus.

ARAKS SAHAKYAN

TRANSITS

Des oliviers, des orangers et des palmiers, des cocktails en bord de mer, des avions et des bateaux, une chambre avec vue, des tapis d’Orient multicolores et des ciels bleus… Pour son exposition personnelle au centre d’art Ygrec-ENSAPC à Aubervilliers, Araks Sahakyan nous offre une carte d’embarquement immédiat pour un voyage à travers le globe. Tant en Orient qu’en Occident, nous suivons les reliefs de son histoire pas à pas. Intitulée « Transits », l’exposition offre essentiellement à voir des dizaines d’ouvertures, comme autant de fenêtres sur un monde en perpétuel mouvement.

A première vue, ces dessins aux couleurs vives qui occupent une grande partie des vitrines de l’espace, ont tout de la carte postale ou du dépliant touristique. Ce sont des panoramas en apparence idylliques qui s’avèrent finalement tragiques lorsqu’on y regarde de plus près. Car si le dépaysement est assuré, la joie et la détente sont moins accessibles. Le voyage sera sans doute plus perturbé que prévu.

Sur le principe de la tapisserie morcelée, du puzzle ou du patchwork, ces dessins sont composés de dizaines de feuilles A4 sur lesquelles l’artiste a réuni des bribes de sa mémoire personnelle, elle-même ponctuée par de multiples déplacements. De son enfance au cœur du Caucase, dans son Arménie natale, un pays de l’ex-Union Soviétique connu pour être le berceau du christianisme, jusqu’à son pays d’adoption, la France, en passant par l’Espagne où elle vécut son adolescence auprès de ses parents qui y ont émigré, Araks Sahakyan retient quelques images qu’elle mêle à une mémoire collective multiséculaire constituée de mythologie gréco-romaine, de récits bibliques et d’histoire de l’art.

Avec les réalités géopolitiques actuelles, une nouvelle strate plus dramatique vient se superposer à ces images. « Floating Carpet » par exemple n’a rien d’un tapis volant des mille et une nuits : il nous plonge tout droit dans les paysages marins de la Méditerranée où méduses, kalachnikov, drones et corps flottants se rencontrent pour le meilleur et pour le pire. Ils reflètent l’imaginaire de l’artiste qui, d’évidence, fait,entre autres, allusion à ceux que l’on appelle les « migrants » et pour lesquels la Méditerranée tient plus du cercueil marin que de lieu de villégiature. Sa traversée n’est pas de tout repos alors qu’il se joue beaucoup de guerres à ses pourtours. Dans un autre dessin intitulé « Les Fils d’Abraham », les grands yeux noirs des portraits du Fayoum datant des premiers siècles de notre ère bordent la composition d’un tapis d’Orient où la musculature d’un personnage en détresse extrait du « Radeau de la Méduse » de Géricault (1819) s’ajoute à la vision d’une valise à roulettes dans laquelle s’est caché un clandestin. Dans une facture enfantine, volontairement naïve et joyeuse, Araks Sahakyan fait allusion aux pays du Moyen-Orient – pour la plupart en conflit – dont sont issus les fils d’Abraham, eux-mêmes à l’origine des trois religions monothéistes que sont le judaïsme, le christianisme et l’islam. Au-delà du sort de ceux que l’on appelle les « migrants », Araks Sahakyan tient un journal visuel et aborde ainsi l’épidémie mondiale de coronavirus à travers un dessin qui rappelle l’Art impérial Chinois, et où un sinueux pangolin multicolore apparaît. « On n’y échappe pas » peut-on y lire en guise de slogan ou de menace.  Ailleurs, au centre d’une série de fenêtres rappelant les architectures de Gaudi, c’est le père de l’artiste qui est représenté  alors qu’il vient d’émigrer en Espagne et qu’il s’adonne au travail de la cueillette de fruits pour faire vivre sa famille. Une manière d’attirer l’attention sur la condition des immigrés, prêts à se déclasser pour vivre malgré tout.

Fragmentés sur plusieurs feuilles, ces dessins sont pour la plupart des « Paper Carpets », des tapis de papier. Ils peuvent justement se ranger – non pas dans des valises – mais dans des boîtes reliées. Facilement pliables et transportables, ils nous rappellent qu’il peut toujours être question de prendre le large et partir pour une destination inconnue.

Certaines de ces œuvres colorées au feutre dont les traces de couleur nous rappellent la régularité des travaux d’aiguille, finissent par réellement se transformer en tapis dont la fabrication est confiée à des artisans arméniens. Ceux-ci les tissent manuellement, à l’aiguille, selon des méthodes transmises de génération en génération depuis des siècles. C’est le cas de « Las ventanas de mi casa » (les fenêtres de ma maison) qui présente une vue plongeante sur un Arc de Triomphe transposé en bord de mer. Ce sont les vues des trois villes qu’elle a traversées et qui ont nourri son imaginaire : la vue sur les bâtiments en pierre volcanique d’Hrazdan, sa ville natale en Arménie, celle de la plage d’Alicante en Espagne, et enfin Paris. L’artiste y met partiellement en abîme une vision fantasmée de la fenêtre de son dernier atelier, avenue Mac-Mahon à Paris. Au sol, un tapis dans le tapis vient rappeler sa terre d’origine, l’Arménie située sur l’historique Route de la Soie d’où sont originaires la plupart des tapis d’Orient. L’artiste voit en chacune de ces pièces tissées un territoire avec son histoire, sa superficie et ses frontières.

C’est dans cette logique géographique que l’artiste a également réalisé une série de drapeaux tout à fait particuliers qui rappellent l’intérêt qu’elle nourrit pour le motif abstrait. Ces huiles sur bois répertorient comme dans un nuancier Pantone, quelques-unes des différentes teintes de carnations pouvant exister à travers le monde. Qu’il s’agisse de la France, de la Norvège ou des Etats-Unis, ces drapeaux sans frontières sont à peine reconnaissables dans ces coloris proches de la terre, et inspirés de nos mille et une couleurs de peaux.  Le rouge sang, seule teinte vive que cette coloriste dans l’âme s’est autorisée à révéler dans cet exercice, vient souligner l’esprit multiculturaliste de cette œuvre.

Détournant les symboles et mythologies anciennes tout comme les techniques de l’artisanat dans un travail résolument pop, Sahakyan met la mémoire et la transmission au centre de son travail et entre parfaitement en résonance avec une époque où identité, flux migratoires, frontières et langues posent question. Les vitrines du centre d’art Ygrec-ENSAPC, lieu de passage par excellence, adressent alors une invitation idéale aux passants : celle du mouvement à travers déplacements, voyages et autres transits. Alors peu importe la destination.

Anaïd Demir

Araks Sahakyan 

Artiste-plasticienne et performeuse. Elle reçoit les félicitations du jury à l’unanimité lors de son diplôme à l’École nationale supérieure des arts de Paris-Cergy (ENSAPC) en 2018, après avoir passé une année Erasmus à la Central Saint Martins de Londres. Exposée lors du programme vidéo de Jeune Création en 2020, elle est sélectionnée pour la 65e édition du Salon de Montrouge et lauréate de la résidence Drawing Factory à Paris en 2021. Artiste hispano-arménienne évoluant entre plusieurs langues, elle fait de la traduction le processus central d’une œuvre transdisciplinaire où se mêlent dessin, vidéo et performance. Elle se joue des frontières entre réalité et fiction, et déploie un travail où se croisent des enjeux géopolitiques et esthétiques liés au déplacement et à l’identité.

 

Ce projet est lauréat 2020 du Fonds Régional pour les talents émergents (FoRTE),financé par la Région Île-de-France.

 

Télécharger le communiqué de presse : TRANSITS de Araks Sahakyan